Aeneas : l’IA qui révolutionne l’étude des inscriptions latines

Aeneas : l’IA qui révolutionne l’étude des inscriptions latines

Le 23 juillet 2025, la revue Nature a publié une avancée scientifique majeure mêlant intelligence artificielle, linguistique ancienne et histoire romaine. Développé par Google DeepMind et l’Université de Nottingham, le système Aeneas se positionne comme un allié révolutionnaire pour les épigraphistes. Son objectif : aider à la lecture, l’interprétation et la contextualisation des inscriptions latines — même lorsqu’elles sont endommagées ou fragmentaires.

📌 Une découverte au croisement de l’histoire et de la technologie

Chaque année, environ 1 500 inscriptions latines sont découvertes à travers les anciens territoires de l’Empire romain. De la Lusitanie à la Mésopotamie, ces textes gravés sur pierre, bronze ou céramique offrent des fenêtres uniques sur la vie politique, religieuse, militaire ou économique d’un monde disparu.

Mais leur interprétation demande du temps, de l’expertise, et surtout l’accès à un corpus vaste et fragmenté. C’est dans ce contexte que naît Aeneas, un modèle d’intelligence artificielle conçu pour assister les spécialistes dans cette quête du passé.

🧠 Qu’est-ce que le système Aeneas ?

Aeneas est un modèle de traitement du langage basé sur la célèbre architecture T5 (Text-to-Text Transfer Transformer). Il a été conçu pour compléter, contextualiser et interpréter les inscriptions latines, même lorsqu’elles sont incomplètes ou très abîmées.

Une technologie de pointe au service de l’histoire

  • Capacité à gérer des textes endommagés ou partiels
  • Proposition de plusieurs complétions classées selon leur cohérence linguistique et historique
  • Utilisation d’un système de surlignage visuel indiquant les éléments influençant ses prédictions
  • Intégration d’images dans 5 % des cas, pour renforcer l’analyse contextuelle

Contrairement à une IA classique de reconnaissance, Aeneas ne se substitue pas au chercheur. Il fonctionne comme un moteur d’hypothèses, permettant d’ouvrir des pistes que le spécialiste peut ensuite valider, approfondir ou rejeter.

« Ce que l’humain met des jours à retrouver dans des corpus épars, l’IA le suggère en quelques secondes » — Yannis Assael, Google DeepMind

📚 Une base de données sans précédent

Pour atteindre ce niveau d’analyse, Aeneas a été entraîné sur un corpus exceptionnel : le Latin Epigraphic Dataset. Il s’agit d’une fusion de trois grands ensembles de données :

  • EDR : inscriptions de Rome et de l’Italie centrale
  • EDH : provinces occidentales de l’Empire
  • EDCS : corpus latin et grec réparti dans tout l’Empire

Ce dataset couvre une aire géographique de 5 millions de km² et regroupe plus de 176 000 inscriptions, s’étalant de la République romaine à la fin de l’Empire.

🔬 Une méthodologie rigoureuse, orientée vers la collaboration humain-IA

Pour évaluer les capacités d’Aeneas, un protocole rigoureux a été mis en place auprès de 23 spécialistes issus d’universités européennes. La méthodologie se décline en trois étapes :

  1. Le chercheur travaille seul sur une inscription partielle.
  2. Il accède ensuite aux suggestions d’Aeneas.
  3. Enfin, il découvre les prédictions complètes du système.

Cette approche permet de mesurer l’apport de l’IA à chaque niveau, et de cerner le véritable effet de la collaboration.

« Il ne s’agit pas d’un oracle, mais d’un partenaire de réflexion » — Thea Sommerschield, Université de Nottingham

📊 Résultats : des performances prometteuses

Les résultats sont à la hauteur des attentes. Lorsque Aeneas dispose d’images en plus du texte, il parvient à identifier la province d’origine dans 72 % des cas. Il démontre aussi une excellente capacité à détecter les formules canoniques, les noms propres et les éléments institutionnels, même lorsqu’ils sont lacunaires.

Sa force réside dans la combinaison d’analyses linguistiques, historiques et visuelles, ce qui en fait un outil unique dans le champ des humanités numériques.

🧾 Cas concrets : des avancées significatives

Res Gestae Divi Augusti

Dans le célèbre texte de propagande politique de l’empereur Auguste, Aeneas a proposé des datations fines situées entre 10 et 1 av. J.-C., et entre 10 et 20 apr. J.-C. Il a également reconnu des formes lexicales rares comme princeps iuventutis, un titre apparu en 5 av. J.-C., permettant d’affiner le contexte politique du texte.

Inscription votive à Mogontiacum (Mayence)

Cette inscription, datée de 211 apr. J.-C., a été mise en relation par Aeneas avec un autel militaire plus ancien, jusque-là ignoré des corpus. L’IA a détecté des parallèles linguistiques et cultuels, suggérant une continuité rituelle jusqu’ici invisible pour les chercheurs.

💡 Une révolution pour l’accessibilité du savoir

Jusqu’à présent, l’épigraphie restait une discipline exigeante, réservée à une élite de spécialistes maîtrisant le latin, les références historiques et les subtilités épigraphiques. Aeneas pourrait changer la donne.

« Un levier pour élargir l’accès à des corpus jusque-là réservés à une élite érudite » — Jonathan Prag, Université d’Oxford

En démocratisant l’analyse épigraphique, Aeneas peut permettre aux jeunes chercheurs, aux étudiants et aux curieux éclairés d’explorer des corpus antiques avec une aide intelligente et contextualisée.

⚠️ Limites et responsabilités

Il convient cependant de rappeler que Aeneas repose sur des bases de données contenant des restaurations conjecturales. En d’autres termes, certaines parties du corpus sont elles-mêmes des reconstitutions humaines, sujettes à débat.

Aeneas n’automatise donc pas l’épigraphie : il n’interprète pas à la place du chercheur, mais enrichit son analyse en proposant des pistes pertinentes.

« L’analyse humaine reste essentielle pour interpréter et valider les suggestions de l’IA » — Jonathan Prag

📌 Analyse et perspectives : un nouveau paradigme scientifique

L’arrivée d’Aeneas marque une évolution plus large du rôle de l’intelligence artificielle dans les sciences humaines. Loin de remplacer les chercheurs, elle devient un partenaire cognitif, capable de proposer, comparer et éclairer.

Nous assistons à une hybridation inédite entre érudition et calcul statistique, entre intuition humaine et mémoire artificielle. Ce mouvement s’inscrit dans une tendance croissante : celle de l’IA collaborative, non pas comme autorité, mais comme amplificateur de savoir.

À l’heure où les inscriptions continuent d’être découvertes chaque année, un outil comme Aeneas permet d’envisager des analyses plus rapides, plus globales et plus connectées entre elles.

🔚 Un outil d’avenir, à utiliser avec rigueur

Aeneas est une révolution silencieuse dans l’étude du monde antique. Il ne remplace pas le chercheur, mais il lui ouvre des portes, suggère des chemins, éclaire les zones d’ombre. En cela, il incarne une nouvelle manière de faire de la science, fondée sur la synergie entre technologie et humanité.

Comme tout outil puissant, il doit être utilisé avec exigence, esprit critique et prudence. Mais bien employé, Aeneas promet de transformer radicalement notre compréhension du passé latin — et peut-être demain, d'autres civilisations écrites de l’histoire humaine.

Un partenaire d’avenir pour des chercheurs en quête d’éternité.

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