Depuis plus de trois ans, Intel traverse une période de turbulences sans précédent. Remaniements internes, repositionnement stratégique, menaces industrielles : l’un des plus grands noms de la tech est en pleine mutation. Entre ambitions contrariées et ultimatums technologiques, l’avenir d’Intel est plus incertain que jamais.
💥 Une transition de leadership dans la tourmente
En début d’année 2025, Pat Gelsinger a cédé sa place à Lip-Bu Tan à la tête d’Intel. Ce changement de direction intervient alors que l’entreprise accumule les mauvaises nouvelles depuis trois ans. À l’heure où les grandes puissances mondiales misent tout sur les semi-conducteurs, Intel semble chercher son cap dans un brouillard stratégique.
Le choix de Lip-Bu Tan n’est pas anodin. Ancien président d’ARM et vétéran du secteur, il apporte une connaissance approfondie des enjeux de la chaîne d’approvisionnement, de l’investissement technologique et des dynamiques asiatiques. Mais sa première déclaration a surpris :
« Sur l’entraînement [IA], je pense qu’il est trop tard pour nous. »
Un aveu d’échec clair sur un domaine qui façonne l’avenir de l’informatique.
🧠 Intel et l’intelligence artificielle : un virage raté ?
Alors que l’IA devient le nerf de la guerre technologique, Intel semble avoir manqué le coche. Les solutions d’entraînement de modèles IA sont aujourd’hui dominées par NVIDIA et, dans une moindre mesure, AMD et Google. Intel avait une carte à jouer, mais ses retards successifs et choix discutables l’ont reléguée au second plan.
La génération Arrow Lake, censée porter une nouvelle ambition IA, a été un échec technique. La suppression du Hyper-Threading (SMT) — une technologie pourtant éprouvée — s’est révélée être un désavantage majeur. Intel l’admet aujourd’hui ouvertement :
« S’éloigner du SMT aura été un désavantage compétitif. »
Ce positionnement désordonné illustre une crise plus profonde : celle d’une entreprise qui tente de se réinventer tout en courant après ses concurrents.
Lire Aussi : Intel fait marche arrière : le grand retour de l’Hyper-threading dès 2025
🏭 Le 14A : dernier espoir ou futur abandon ?
Dans la course à la miniaturisation, le processus de gravure 14A est désormais présenté comme la “dernière planche de salut” pour Intel. Il devait succéder aux nœuds 18A et 18A-P, mais contrairement à eux, le 14A a été pensé pour une utilisation mixte : à la fois interne et pour des clients externes.
Mais le constat est amer : aucun grand contrat externe n’a encore été signé. Sans partenaire majeur, Intel n’exclut pas d’abandonner purement et simplement le 14A. Une décision aux conséquences lourdes :
- Perte d’indépendance dans la gravure avancée
- Renforcement du quasi-monopole de TSMC
- Conséquences géopolitiques majeures sur la souveraineté numérique
Si Intel échoue sur le 14A, elle pourrait confier la production de ses propres puces à TSMC, comme c’est déjà le cas pour Arrow Lake. Un symbole fort du changement de paradigme.
⚠️ Des décisions radicales pour survivre
Dans une logique de survie, Intel envisage de nouvelles suppressions de postes afin de simplifier sa structure et réduire ses coûts. Ce mouvement de réduction budgétaire s’inscrit dans une tendance plus large : se recentrer sur les segments rentables et abandonner les ambitions trop coûteuses.
Le recentrage stratégique pourrait aller jusqu’à l’abandon complet de la gravure de haute précision si le 14A ne trouve pas de marché. Une telle décision signifierait l’échec d’une décennie d’investissements massifs, et un recul historique pour un acteur qui a longtemps défini les standards de l’industrie.
🌍 Une concurrence féroce et des enjeux géopolitiques majeurs
Le secteur des semi-conducteurs n’est pas seulement technologique : il est devenu hautement stratégique. Aujourd’hui, seuls quelques acteurs sont capables de produire des puces de pointe :
- TSMC (Taïwan), leader incontesté des nœuds avancés (3 nm, bientôt 2 nm)
- Samsung (Corée du Sud), qui a désormais ralenti sa course
- Rapidus (Japon), projet soutenu par l’État visant le 2 nm en 2027
- La Chine, qui ambitionne de rattraper Taïwan malgré l’embargo américain
Face à cette carte mondiale, Intel se retrouve en position fragile. En collaborant avec TSMC, elle renforce paradoxalement la dépendance à Taïwan, au moment même où les États-Unis cherchent à rapatrier les chaînes critiques. L’abandon du 14A reviendrait à laisser TSMC seul en course, ce qui inquiète à Washington comme à Bruxelles.
📉 Analyse : les racines de l’échec
Un modèle vertical devenu un fardeau
Intel a longtemps combiné la conception et la fabrication de ses puces, là où AMD ou Apple externalisent. Cette approche avait du sens lorsque la firme dominait techniquement. Mais dans le contexte actuel, ce modèle devient coûteux, rigide, et moins performant que les stratégies hybrides adoptées par ses concurrents.
Des voix internes proposaient de séparer les activités de conception et de production, créant une entité “Intel Foundry” autonome. Mais Lip-Bu Tan refuse cette scission. Un choix qui pourrait sceller le sort du groupe si les résultats ne suivent pas.
Un cycle d’innovation brisé
Depuis l’échec du 10 nm, Intel n’a jamais vraiment retrouvé un rythme de développement stable. Les promesses autour du 7 nm (rebaptisé “Intel 4”) et du 5 nm (Intel 3, puis 20A, puis 18A) ont toujours été accompagnées de retards, d’annulations ou de performances décevantes.
Le nœud 18A, annoncé avec ambition, ne sera finalement utilisé qu’en interne. Une autre preuve que les promesses de rattrapage ne se traduisent pas sur le terrain. Le 14A apparaît donc comme une ultime tentative, mais sa fragilité commerciale est inquiétante.
🔍 Enjeux industriels et géopolitiques : pourquoi tout le monde devrait s’inquiéter
Intel n’est pas qu’un acteur privé : c’est un pilier technologique stratégique des États-Unis. Son recul dans la gravure avancée aurait des implications mondiales.
Pourquoi est-ce grave ?
- Un monopole de TSMC sur la gravure de pointe accroît les risques de rupture d’approvisionnement
- Une trop forte dépendance à Taïwan, région instable politiquement
- La Chine pourrait combler le vide à moyen terme, bouleversant les équilibres stratégiques
La relocalisation industrielle, prônée par les États-Unis via les CHIPS Act et autres plans de subvention, perd tout son sens si Intel ne parvient pas à retrouver sa compétitivité.
📌 Synthèse : l’heure des choix décisifs
Intel se retrouve au bord d’un gouffre technologique et industriel. Le nœud 14A est sa dernière carte dans la gravure avancée. S’il échoue, l’entreprise pourrait se transformer en simple designer de puces, sous-traitant sa fabrication à ses concurrents directs.
La situation pose une question plus large : l’industrie mondiale des semi-conducteurs peut-elle survivre sans un Intel fort ? Car si TSMC devient le seul fabricant avancé, alors le monde entier devient vulnérable à une crise taïwanaise.
🚀 Une renaissance encore possible ?
Intel a survécu à bien des crises. Mais celle-ci est différente : elle mêle obsolescence technologique, perte d’image, pressions géopolitiques et doutes internes. L’arrivée de Lip-Bu Tan marque un tournant, mais le chemin vers le redressement est étroit.
Avec le 14A, Intel joue son avenir. Les mois à venir seront décisifs. Soit l’entreprise parvient à convaincre un ou plusieurs clients majeurs et relance la machine, soit elle abandonne le cœur même de ce qui a fait sa légende : la maîtrise de la gravure avancée.
Dans ce contexte, les analystes, les gouvernements et l’industrie dans son ensemble doivent suivre avec attention ce feuilleton stratégique. Car l’échec d’Intel, ce serait bien plus que la chute d’un géant. Ce serait un basculement mondial.
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