Un outil controversé, un objectif ambitieux : passer de 200 000 à 100 000 réglementations fédérales en un an. Voici comment l’administration Trump mise sur l’intelligence artificielle pour remodeler l’État fédéral à une vitesse inédite.
l’intelligence artificielle, nouvelle arme de la déréglementation
Le 27 juillet 2025 marque un tournant dans la politique réglementaire des États-Unis. Sous l’impulsion de l’administration Trump, un programme ambitieux de réduction massive des réglementations fédérales prend forme grâce à un outil inédit : le DOGE AI Deregulation Decision Tool. Développé par le Department of Government Efficiency (DOGE), cet outil d’intelligence artificielle a pour mission d’analyser près de 200 000 réglementations fédérales pour en éliminer la moitié en moins d’un an.
Mais derrière les promesses d’efficacité et de modernisation, de nombreuses questions se posent : quels sont les risques d’une telle automatisation ? Quelle est la place réelle d’Elon Musk dans ce projet ? Et jusqu’où peut-on faire confiance à une IA pour piloter la politique réglementaire d’un pays ?
Un objectif clair : couper 50 % de la bureaucratie fédérale
Un calendrier resserré et politique
L’outil d’IA a été conçu avec un objectif politique assumé : réduire de moitié les réglementations fédérales avant le premier anniversaire du retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Une échéance qui donne le ton : il ne s’agit pas seulement d’optimiser l’administration, mais de marquer une rupture radicale avec la politique fédérale des décennies passées.
Le champ d’application : tous les secteurs fédéraux
L’outil a déjà été mis à l’œuvre dans deux institutions majeures :
- Le Department of Housing and Urban Development (HUD), où il aurait passé au crible l’ensemble des textes en vigueur.
- Le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), où il aurait rédigé 100 % des propositions de déréglementation.
À terme, c’est l’ensemble du spectre réglementaire fédéral qui est concerné, de la santé à l’environnement, en passant par la sécurité alimentaire et le secteur financier.
DOGE : un département technologique et politique
La marque Elon Musk
Le Department of Government Efficiency (DOGE) a été dirigé, dans les premiers mois de la nouvelle présidence Trump, par Elon Musk lui-même. Sa nomination, à la fois symbolique et opérationnelle, a envoyé un message fort : l’État fédéral américain allait fonctionner comme une start-up — rapide, technologique et disruptive.
« DOGE rassemble les meilleurs et les plus brillants dans le métier », déclare un porte-parole de la Maison Blanche au Washington Post.
Cependant, cette approche entrepreneuriale de la politique publique pose question : peut-on piloter la complexité de l’État avec les mêmes outils que ceux de la Silicon Valley ?
Une IA pas toujours fiable
Malgré la communication positive de l’administration, certains outils précédemment développés par DOGE ont été critiqués pour leur manque de fiabilité. Un exemple notable : un outil d’IA ayant mal évalué la taille des contrats du Department of Veterans Affairs, générant des erreurs jugées graves par plusieurs analystes du secteur public.
Cette précédente “hallucination” algorithmique souligne les limites actuelles de ces technologies. La rigueur réglementaire peut-elle reposer sur une IA encore en rodage ?
DOGE AI Deregulation Decision Tool : une IA pour décider ce qui doit disparaître
Fonctionnement de l’outil
Le fonctionnement exact du Deregulation Decision Tool reste flou, mais on sait qu’il s’appuie sur un corpus de 200 000 réglementations fédérales pour détecter celles jugées obsolètes, redondantes ou inutiles. Il produit ensuite des recommandations, voire des projets de déréglementation complets, comme au CFPB.
Si la promesse est séduisante — automatiser le nettoyage réglementaire — le manque de transparence et la rapidité du processus interrogent de nombreux experts. Quid de la concertation publique, de l’évaluation d’impact, et du rôle des élus ?
Une intelligence artificielle ou une arme politique ?
L’objectif affiché d’éliminer la moitié des règles fédérales n’est pas neutre. C’est une volonté idéologique forte, dans la lignée des positions anti-réglementation de Trump depuis sa première présidence. L’IA ici ne serait pas tant un outil neutre qu’un instrument de déréglementation massive et rapide.
« Aucun plan unique n’a été approuvé ou greenlit », a nuancé la Maison Blanche, prenant soin de garder une marge de manœuvre face aux critiques croissantes.
Analyse : un pari technologique aux conséquences profondes
Vers une “réforme automatisée” du droit ?
Cette initiative soulève une question fondamentale : peut-on confier à une IA le pouvoir de refondre l’architecture réglementaire d’un État ? Si l’automatisation peut améliorer la détection des textes obsolètes, elle ne peut remplacer l’analyse humaine, le débat démocratique et l’évaluation sociétale.
Une IA peut repérer des incohérences, mais peut-elle mesurer l’impact d’une règle sur les populations les plus vulnérables ? Peut-elle arbitrer entre intérêts économiques, environnementaux et sociaux ?
Comparaison internationale
Alors que l’Union européenne et le Canada adoptent des approches prudentes et éthiques de l’IA dans la gouvernance publique, les États-Unis, sous Trump, semblent prendre un chemin inverse, misant sur la vitesse et la réduction des coûts. Ce contraste pourrait entraîner des divergences structurelles durables dans la manière de réguler les sociétés modernes.
Réactions et perspectives
Un silence inquiet des agences fédérales
À ce jour, peu d’agences ont commenté publiquement l’utilisation de l’outil DOGE AI. Certaines sources internes évoquent un climat de méfiance, voire de résistance silencieuse, face à une réforme jugée trop brutale. D’autres y voient une opportunité de gagner en efficacité.
Le Congrès face à une IA dérégulatrice
Plusieurs membres du Congrès, notamment démocrates, ont demandé l’ouverture d’une commission d’enquête sur le processus et les résultats produits par cette IA. Ils craignent une déréglementation à l’aveugle, sans contrôle parlementaire ni débat public.
Un futur bureaucratique ou algorithmique ?
Avec le DOGE AI Deregulation Decision Tool, les États-Unis explorent une voie radicale : confier à l’intelligence artificielle le pouvoir d’épurer leur corpus réglementaire. Si l’efficacité promise est impressionnante, elle soulève d’énormes enjeux démocratiques, éthiques et institutionnels.
L’intelligence artificielle ne doit pas devenir un prétexte pour contourner les processus démocratiques. Elle peut être un outil, mais ne saurait être le décideur final.
Dans les mois à venir, le sort de centaines de milliers de textes réglementaires — et par extension, de millions de citoyens — pourrait dépendre des choix faits par un algorithme. Une réalité qui oblige à poser une question simple : qui contrôle l’IA quand celle-ci contrôle la loi ?
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